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2 avril 2006 7 02 /04 /avril /2006 00:00

LE FOU ET LA VENUS – Ch. Baudelaire
Le Spleen de Paris

 

 

Repris en 1864 sous le titre Petits poèmes en prose



Quelle admirable journée! Le vaste parc se pâme sous l'oeil brûlant du soleil, comme la jeunesse sous la domination de l'Amour. 
   L'extase universelle des choses ne s'exprime par aucun bruit; les eaux elles-mêmes sont comme endormies. Bien différente des fêtes humaines, c'est ici une orgie silencieuse. 
   On dirait qu'une lumière toujours croissante fait de plus en plus étinceler les objets; que les fleurs excitées brûlent du désir de rivaliser avec l'azur du ciel par l'énergie de leurs couleurs, et que la chaleur, rendant visibles les parfums, les fait monter vers l'astre comme des fumées. 
   Cependant, dans cette jouissance universelle, j'ai aperçu un être affligé. 
   Aux pieds d'une colossale Vénus, un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l'Ennui les obsède, affublé d'un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sonnettes, tout ramassé contre le piédestal, lève des yeux pleins de larmes vers l'immortelle Déesse. 
   Et ses yeux disent: - "Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d'amour et d'amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux. 
   Cependant je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l'immortelle Beauté! Ah! Déesse! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire!" 
   Mais l'implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre.

 

 

 

 

 

 

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