Si ce manuscrit se retrouve par hasard entre vos mains, c’est que je ne suis plus de votre monde et que j’aurais bel et bien été victime du pouvoir magique du Grand Maître Mot-à-Mot. Cela signifie aussi que le pacte que j’ai passé avec lui s’est réalisé, que je suis enfin célèbre et que toutes vos bibliothèques sont inondées de mes œuvres, et ce, pour des siècles et des siècles.
Aujourd’hui, en ce 20 mars 1820, moi, Victor Hugo, sain de corps et d’esprit, m’apprête à faire un pacte avec le Grand Maître Mot-à-Mot. Voici la chose terrible qui vient de m’arriver : Alors qu’il y a un instant à peine je me délectais de mon cigare favori et que les effluves qui en émanaient m’avaient délicieusement transporté vers le monde des Idées, je fis un peu mieux la connaissance du Grand Maître Mot-à-Mot, un être d’inspiration et de lumière que je rencontre parfois au fond de mon encrier d’argent. Jusqu’à ce jour, on ne peut pas dire que sa présence m’ait beaucoup apporté : je suis un petit écrivain, un écrivant devrais-je dire, au bord du suicide, l’âme en peine, qui n’a de cesse que d’écrire le ou les œuvres qui m’assureraient reconnaissance et revenus jusqu’à la fin de mes jours. Mais il ne faut pas se leurrer, ma plume n’est pas encore parvenue à sa maturité et n’y parviendra peut-être jamais.
Alors que je séchais donc devant ma feuille blanche depuis déjà quelques heures, le Grand Maître Mot-à-Mot me fit une proposition : laisse moi finir tes œuvres et je t’assurerais gloire et célébrité jusqu’à la fin de tes jours et même encore pendant plusieurs siècles à venir, si bien qu’elles seraient au programme d’étude des enfants à l’école, et que ta mémoire, en chacun d’eux, à jamais gravée dans le temps résisterait à tous les mouvements littéraires futurs et à venir. J’avoue que cette proposition somme toute, des plus inattendues et loufoques, a eu pour effet immédiat de flatter mon égo... quel écrivain, méconnu, médiocre, simple écrivant croyant maîtriser les mots, n’a jamais rêvé d’être publié, et d’être reconnu de tous, partout et en tout lieu ? Quel homme pourrait résister à l’idée de traverser les siècles de cette façon ? Allons, soyons sérieux, qu’auriez-vous fait à ma place ? Non, ne me dites pas que vous auriez hésité ? Je ne vous crois pas. Vous auriez réagi comme je m’apprête à le faire. Le Grand Maitre Mot-à-Mot m’assure que si j’accepte ce pacte, en contrepartie il utilisera un pouvoir magique qui lui permettra de me faire disparaître à jamais dans un monde parallèle. La réalité est la suivante : je suis au bord du gouffre, personne ne me connaît, je vis dans la misère, et dans la poussière des mes œuvres inachevées. N’ai-je pas dis moi-même il ya quelques temps « « je veux être Chateaubriand ou rien » ? De deux choses l’une, soit je mets fin à mes jours et meurs dans l’oubli, soit le Grand Maître Mot-à-Mot me fait disparaître, usurpe mon identité et me rend célèbre pour l’éternité.. Qu’auriez-vous fait à ma place, hein ?