Il l'attendait...
Il vivait reclus dans son petit monde à lui, au fin fond d’une cave dont on pouvait apercevoir les quelques lueurs de la journée se faufiler par le seul et unique fenestron aux barreaux d’acier. Là, dans son éternité à lui, il aimait à regarder les pieds des passants dans la rue qui jamais ne s’arrêtaient ; parfois ce mouvement perpétuel lui donnait le vertige et des nausées angoissantes.
Il l’attendait..
Depuis longtemps..
Il ne sortait jamais de son antre, à part pour se nourrir ici et là en quémandant quelques repas dans cette rue qu’il n’aimait pas. Il avait trop peur de la rater, de rater ce rendez-vous si longtemps espéré.
Il n’avait d’autre apparat que son crayon usé et quelques feuilles éparses sur la table recouverte d’une poussière d’outre-tombe. Dans le noir presque absolu parfois, il aimait à mâchouiller son crayon en regardant le temps fâné dans les fins fonds de sa mémoire embrouillée. Puis il gribouillait quelques esquisses d’une vie passée à l’attendre. Il barrait et rembarrait encore les souvenirs douloureux qui parfois lui revenaient au visage comme un boomerang d’enfant. Ses vieilles mains ridées alors se réfugiaient instinctivement sur son visage buriné et quelques larmes tentaient de s’infiltrer dans les sillons de ses joues.
Il n’allait sur sa vieille paillasse que le soir pour dormir, quand les lumières de la rue s’éteignaient enfin. Là, il pensait que demain serait un autre jour, et que la lumière se ferait vie dans son corps tout entier. Il ne vivait plus que pour elle. Le reste n’était que chimère. Parfois il croyait la rencontrer au détour d’un rêve mais au petit matin, l’absente se faisait attendre encore. C’est elle qui lui avait donné la force d’avancer tout au long de sa vie. Elle avait modelé son corps et lui livrait de bien belles douceurs. Elle n’avait de mots que pour lui et il lui rendait bien. Ils ont été si longtemps complices que le chaos dans lequel il était tombé depuis son absence lui devenait chaque jour un peu moins supportable. Dieu sait qu’ensemble ils avaient voyagé, traversé tous les continents, inséparables comme les dix doigts de la main ! Il faut dire qu’à l’époque, il était un écrivain réputé.
Ses livres se vendaient comme des petits pains. Il rencontrait du monde, du grand monde et la société n’avait d’yeux que pour lui. Il vivait dans la lumière.
Et puis un jour, le vide. Le trou noir. Il pensait que ce n’était qu’un passage. Qu’elle reviendrait.
Mais à force de compter une à une les poussières qui s’imprégnaient avec le temps sur ses feuilles à peine noircies par son crayon fébrile, il doutait de plus en plus de son retour. Il craignait même qu’elle l’eut quitté définitivement pour aller se blottir dans d’autres mains étrangères.
Oui, elle était partie, mais elle reviendrait, et il l’attendrait tapi dans son antre. Le temps qu’il faudrait. Il purgerait sa peine comme n’importe quel forçat et elle lui reviendrait plus vive et plus enthousiaste encore. Pendant ces années d’absence, il s’était pourtant lassé d’elle, puis il l’avait recherchée plus violemment encore, il l’avait aimée, puis détestée, il croyait la cerner, la comprendre un peu, celle qui s’était donnée à lui tout au long de son existence et qui avait fini par lui échapper.
Il le savait, maintenant, l’inspiration était comme une femme, envoutante et ensorceleuse, sauvageonne à souhait, mais impossible à apprivoiser.